Une grande partie des contentieux en responsabilité médicale ne naissent pas du geste chirurgical lui-même, mais de ce qui le suit.
Complications ignorées, surveillance insuffisante, retard de diagnostic post-opératoire… : la faute dans la prise en charge post-opératoire constitue aujourd’hui un terrain majeur d’indemnisation des victimes.
Comprendre les contours de cette responsabilité permet de mieux saisir les droits des patients et les obligations pesant sur les équipes soignantes.

1. Le temps post-opératoire : une phase à risque souvent sous-estimée
L’acte chirurgical est rarement isolé ; il s’inscrit dans une chaîne de soins continue, depuis la préparation jusqu’au suivi du patient.
Après l’intervention, le corps entre dans une période critique : les risques d’hémorragie, d’infection ou de défaillance d’organe sont réels.
C’est pourquoi la jurisprudence considère que le devoir de surveillance constitue une obligation essentielle du praticien et de l’établissement de santé.
Une erreur dans cette phase n’est pas moins fautive qu’une erreur opératoire.
Elle peut résider dans :
- l’absence de contrôle des constantes vitales.
- un retard dans la réalisation d’examens complémentaires.
- la minimisation de symptômes d’alerte.
- ou encore une sortie prématurée du patient sans vérification suffisante de son état.
2. Quand la négligence devient faute médicale
La jurisprudence distingue la complication inévitable de la faute médicale.
Pour qu’il y ait faute, il faut démontrer que le comportement du praticien s’est écarté des règles de l’art ou des protocoles de surveillance normalement attendus.
Exemples de fautes reconnues
- Un patient opéré du genou présentant une douleur persistante et un gonflement : l’absence d’examens radiologiques et biologiques immédiats ayant conduit à un diagnostic tardif d’infection est considérée comme fautive.
- Une patiente sortant d’une chirurgie abdominale sans que ses constantes aient été contrôlées alors qu’elle présentait une tachycardie : faute de surveillance caractérisée.
- Un chirurgien informé d’une fièvre post-opératoire qui ne revoit pas son patient : manquement à l’obligation de suivi.
Ces décisions rappellent que la responsabilité post-opératoire ne se limite pas au chirurgien.
Elle peut également concerner :
- l’équipe infirmière, chargée du relevé des constantes et de la transmission d’informations.
- l’établissement de santé, tenu d’assurer la coordination et la continuité des soins.
- ou encore le médecin traitant, lorsqu’il est alerté après la sortie du patient.
3. L’expertise médicale : pièce centrale de la démonstration
Prouver une faute post-opératoire repose sur une analyse fine du dossier médical.
L’expertise, amiable (devant la CCI) ou judiciaire, doit reconstituer le fil des événements :
heures de surveillance, relevés de température, transmissions infirmières, prescriptions, résultats biologiques…
Le rôle de l’avocat et du médecin-conseil de victimes est ici déterminant :
ils vérifient que chaque acte attendu a bien été accompli et que les alertes n’ont pas été négligées.
Une simple omission dans les transmissions peut suffire à démontrer un manquement au devoir de vigilance.
En matière de soins post-opératoires, l’inaction face à un signe d’alerte vaut souvent faute.
4. Le lien de causalité : une condition essentielle
Même en présence d’une faute, encore faut-il établir qu’elle a provoqué ou aggravé le dommage.
Le juge ou la CCI apprécient alors si, en l’absence de manquement, le patient aurait pu éviter la complication.
Cette analyse, purement médicale, repose sur le rapport d’expertise :
- l’infection aurait-elle pu être traitée à temps ?
- l’hémorragie aurait-elle été détectée plus tôt ?
- la perte de chance de guérison est-elle quantifiable ?
Lorsque la faute a entraîné une perte de chance sérieuse d’éviter le dommage, la responsabilité est retenue et la victime indemnisée à proportion de cette perte.
5. Les préjudices indemnisables
En cas de faute post-opératoire, la victime peut obtenir la réparation intégrale de son préjudice corporel, selon la nomenclature Dintilhac :
- souffrances endurées.
- déficit fonctionnel permanent.
- préjudice esthétique.
- préjudice professionnel et incidence sur la carrière.
- besoin d’aide humaine.
- aménagement du logement ou du véhicule.
- préjudice moral et d’agrément.
L’évaluation de ces postes nécessite une approche personnalisée.
Un même manquement peut avoir des conséquences radicalement différentes selon l’âge, la situation professionnelle et les conditions de vie de la victime.
6. La faute post-opératoire dans la jurisprudence récente
Les juridictions rappellent régulièrement l’importance de la vigilance dans le suivi post-opératoire :
- La Cour administrative d’appel de Marseille, dans un arrêt du 13 juin 2023, a condamné un centre hospitalier pour n’avoir pas surveillé l’évolution d’une plaie infectée après chirurgie orthopédique.
- Le tribunal judiciaire de Paris, en 2024, a reconnu la faute d’un chirurgien ayant autorisé la sortie anticipée d’un patient victime d’une hémorragie interne quelques heures plus tard.
Ces décisions illustrent la constance de la jurisprudence : l’absence de réaction appropriée face à un signe d’alerte engage la responsabilité du praticien.
7. Le rôle protecteur de l’avocat en dommage corporel
Pour la victime, comprendre et prouver une faute post-opératoire est souvent complexe.
L’avocat spécialisé intervient dès la constitution du dossier médical, en identifiant les anomalies et en orientant la stratégie d’indemnisation :
- saisine de la CCI pour expertise amiable.
- ou recours devant le tribunal administratif ou judiciaire selon la nature de l’établissement.
Son rôle ne s’arrête pas à la reconnaissance de la faute : il veille à ce que tous les postes de préjudice soient indemnisés, y compris ceux que les assureurs ou l’ONIAM omettent fréquemment.
Conclusion
La faute dans la prise en charge post-opératoire illustre combien la vigilance médicale doit se prolonger au-delà de l’intervention.
Un diagnostic tardif, une absence de surveillance ou un défaut de coordination peuvent transformer un acte chirurgical banal en drame évitable.
Face à ces situations, la victime ne doit jamais rester seule.